( A propos de « Chronique de la dérive
douce »)
Après lui avoir décerné le prix RENAUDOT en 2008, pour l’énigme du retour, la France
du livre semble plus que jamais prête à reconnaitre L’écrivain Haïtien, publié depuis 2005 chez Grasset avec « le Goût des jeunes filles ».
En effet, les éditions Grasset viennent de rééditer « Chronique de la dérive douce » publié
en 1994 au QUEBEC (éditions BOREAL), ou Dany LAFFERIERE fait depuis longtemps partie du paysage
médiatique, littéraire et intellectuel.
C’est l’occasion pour
nous, ici, en Martinique alors qu’il est à portée de
main, grâce à une promotion plus visible
de ses ouvrages, (encourageons les libraires…et les hypermarchés) , de découvrir,
ou plutôt de le redécouvrir , puisqu’il s’est vu, ici, justement, décerner en 1991
le Prix Carbet de la Caraïbe, pour L'Odeur du café et en 2000 le Prix Carbet des Lycéens, pour Le
Cri des oiseaux fous.
A ce titre, nous pouvons être fiers d’avoir été les premiers à lui avoir
décerné des prix littéraires, lesquels
ont, nombreux, depuis, enrichi son palmarès.
Que pouvons-nous alors
ajouter à la critique littéraire de « la Chronique de la dérive
douce », qui fait déjà foison sur les
sites Canadiens ?
.....
Il
y a des écrivains auxquels on peut faire
confiance. Dany LAFFERIERE est de ceux
là. Son livre « Chronique de la dérive douce. » est une promesse tenue, même si il ne faut
pas se fier à son titre.
Il
aurait pu en effet le titrer « Chronique de la dérive douce amère, ou de la dérive dure », et si tout n’est pas doux,
dans cette chronique, loin s’en faut, Dany LAFFERIERE a un
talent sur : il sait faire
deux choses à la fois : Dire et
ne pas dire. Il peut donc dire « douce », nous verrons plus
loin pourquoi.
« Chronique de la dérive douce. » nous ramène aux premières années de l’écrivain, en
terre d’exil, au Canada. « Si le temps est circulaire et si
c’est la terre qui tourne autour du soleil, je n’ai qu’à rester ici pour voir
repasser l’époque ….. »[i]
nous dit-il. C’est sûrement
vrai.
Chronique de la dérive douce est à ce titre le retour d’un homme de 41 ans sur la dérive du
jeune homme qu’il fut à 23 ans, fraîchement débarqué en 1976 à Montréal. Il n’a
gardé, aux pages de « Chronique de la dérive douce », 18 ans après,
qu’essence et gravité avec un zeste de
ce qui peut ressembler à de la légèreté, et que nous nommerons charme. Il
raconte ainsi, au fil finement tissé des
pages, son quotidien avec une économie
de mots et une abondance de sens qui en font des pages qui sonnent juste.
Pour
en revenir au titre, Dany
LAFFERIERE nous amuse quand il
évoque, dans sa « Chronique », de sa lecture, entre autres, de « Jours
tranquilles à Clichy » ,de Henry MILler,
en ces termes : « Jours tranquilles à Clichy, dernier livre acheté à
la librairie(…) j’ai pu comprendre assez vite
que les jours de Miller à Clichy n’étaient pas vraiment calmes. Je devais m’y attendre car ce serait
trop simple, même pour un miller qui joue souvent au Naïf, d’annoncer aussi
bêtement la marchandise » car il nous fait la même farce avec « Chronique
de la dérive douce ».
En
effet, si on comprend, en le lisant, qu’il a passé quelques moments agréables dans
les bras de quelques jeunes étudiantes et femmes en amour pour lui dans l’hiver
de Montréal, on comprendra aussi , que son
exil forcé , à 23 ans, après la mort de
son meilleur ami Richard GASNER, éliminé
par la dictature de Duvalier, l’a exposé au douloureux déracinement de l’Haïtien qu’il est jusqu’au bout de l’âme, et aux conditions de l’anéantissement
de sa dignité .
L’écrivain,
qui décrira plus tard à son œuvre Haïti,
ses couleurs, sa chaleur, sa musique, son
humanité tragique et joyeuse, décrit ici son exil vers un
hiver étranger et gris, une ville impersonnelle ou il se retrouve pauvre, affamé, un temps
clochard, ou membre de la classe
ouvrière la plus misérable, celle des immigrés pauvres, avec ou sans papiers.
Et cette
période n’a pas du être pour ce jeune homme, véritable prince parmi les siens en Haïti, d’une douceur particulière, mais assurément
un choc d’une rudesse extrême qu’il tait
entre les lignes, qu’il n’exhibe jamais, sans pour autant le faire disparaître,
mais qu’il enveloppe dans le charme et
la subtilité grave de son écriture élégante
et économe, et qu’on imagine alors sans faire le moindre effort.
C’est sûrement de la douceur de la
dérive du lecteur, bousculé en se croyant chouchouté entre ses pages que
traite le titre, en
finale.
C’est
là que l’écrivain dit sans dire, et fait plus que
dire, fait plus qu’écrire, transmet.
Dany
LAFFERIERE a une manière de voir le
monde, et l’intelligence ce monde, d’où qu’il parle, quoi qu’il écrive ou pas, nous parvient.
L’écrivain sait
taire l’invisible, et le faire
résonner, dans ce portait de lui-même et de sa terre d’accueil, de cette
rencontre.
Enfin,
la deuxième chose qu’a dite Dany
LAFFERIERE a propos de son écriture en dit long
sur sa qualité d’écrivain : « ... Vous n'aurez pas
de grand livre de moi, tout sera moyen, égal. Mon
obsession, quand j'écris, c'est qu'on ne puisse pas me citer. »[1] Et c’est
absolument exact.
Au moins la
deuxième partie de ce propos. Je
ne citerai donc pas ou presque pas d’extrait
de Chronique d’une dérive douce pour
l’illustrer, car j’en suis incapable, et
c’est tant mieux.
Dany LAFFERIERE
a rassemblé plusieurs de ses livres sous un chapitre « autobiographie
américaine », dans laquelle
s’inscrit cette chronique, et
c’est vrai qu’au-delà des sujets traités, on se régale d’un style simple, évident, ciselé, sobre, direct, imagé
sans trop en faire, où l’idée, grave sans en avoir l’air, juste sans hurler à la justesse, est découpée en quelques mots choisis avec grâce.
Une musique douce, quasi silencieuse,
parfaitement harmonique. Une vrai oasis de fraîcheur, de simplicité et de sobre
intelligence pour les lecteurs que nous sommes.
Lisez Chronique d’une dérive douce, et lisez tout
ce Dany LAFFERIERE a écrit. Vous ne
serez pas déçus, vous passerez de délicieux moments avec un écrivain qui se fait un humble devoir de chouchouter
ses lecteurs tout en leur transmettant la
gravité de ses raisons d’écrire, l’air de rien. Du grand art.
Quand vous
aurez fini ses livres,
vous aurez compris les dernières
phrases de son interview de 2011 « Ne pas faire de littérature, cela demande
beaucoup de travail ? DL : C’est énorme. En
plus, vous ne serez jamais cité comme un grand écrivain. Il n'y a rien de plus
facile qu'être un grand écrivain. Faire un livre moyen, être juste un bon
écrivain : ça, c'est difficile. ».
Tout ce travail, juste pour un immense plaisir de lecture. Remercions ce grand écrivain, quoi qu'il en dise.
Tout ce travail, juste pour un immense plaisir de lecture. Remercions ce grand écrivain, quoi qu'il en dise.
[1] Interview Télérama 11.06.2011 « Dany Laferrière : “Je ne suis pas obligé de crier ma créolité sur tous les toits”www.télérama.fr
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